La musique : Interview avec Rodriguez

Avignon, novembre 2021

(Lydie) Comment créés-tu ta musique ? Selon quelles sources d’inspiration : Y-t-il a une idée, un sentiment, une image, d’autre musique ou autre chose qui t’inspire ?

(Rodriguez) « Je crée la musique par rapport à tout ce qui est détail comme ce que tu cites, mais dans l’ensemble c’est l’âme de la musique que je crée à partir de tout ce que je suis en train de penser, de vivre, de voir, et de ressentir au niveau émotionnel et sentimental ; et au niveau du détail en effet un sentiment, une image, un son, une idée etc. peuvent m’inspirer.

D’un point de vue pratique ma démarche est basée sur la polyphonie par rapport à la musique de l’Afrique Centrale tout d’abord et de l’Europe ensuite. Dans D’homme Terre, la polyphonie va prendre encore plus de couleurs provenant de plusieurs pays : il y a par exemple la couleur de la guitare d’Arnaud un peu bluzy ou la couleur de la musique Russe avec Iasha.

Pour ce projet je travaille sur cela et avec du blue note, c’est-à-dire que je suis parti de la racine de la musique de l’Afrique et la musique du monde, car ces parties touchent les gens qui se sont retrouvés déportés dans plusieurs pays. Dans le travail que l’on est en train de faire c’est à nous de toucher tout ce qui est blue note pour faire émerger cette musique des origines qui se sont brouillées pour nous, de façon à laisser parler la voix des ancêtres, car la majorité sont partis.

L’espace et les ouvertures ainsi créés par la musique donnent beaucoup de force au spectacle. En ce qui concerne le problème de l’esclavage et ses conséquences, par la musique il y a une réparation que nous cherchons à opérer pour nos frères, comme une sorte de pont envers eux, car il n’y a pas eu de suivi entre eux et nous mais une coupure. Quelles ont été les inquiétudes et les sentiments de tous ces gens qui sont restés ? Pour ceux qui n’ont pas été déportés comme moi, comme nous, c’est comme si l’on avait abandonné nos frères.

La relation entre africains et américains est déjà pourrie car il n’y a pas de compréhension entre les deux. Si maintenant on commence tous à se sentir esclave, par exemple avec les restrictions dû au Covid, je dirais que la musique peut apporter une forme de liberté, une forme de réparation et d’hommage à ceux qui nous ont quitté.

(Lydie) : Comment communiques-tu avec le public, comment ta musique communique-elle avec le public et avec les artistes d’Artères ?

(Rodriguez) : En ce qui concerne la relation au public je reviens à mon idée de départ. Par rapport à l’âme il y a surtout l’émotion. Même si chacun a sa définition de l’âme et que cela touche à des domaines dont nous n’avons pas la maîtrise, je ne veux pas aller dans un discours qui touche au spirituel. Pour moi, je dirais que l’âme est tout ce qui est de la transmission comme celle que je perçois dans ma tête. Dans toute mon inspiration, je dirais que la première chose à retenir pour la faire sentir est la suivante : il faut qu’elle touche la personne dans tout ce que je ressens ; la personne doit aussi ressentir tout cela dans la musique qui doit directement l’affecter quand elle l‘écoute et la voit jouer sur scène. En résumé cette inspiration que je reçois, pour la transmettre aux gens dans tout ce que je ressens, elle vient directement de mon âme ; c’est pour cela que la personne qui la reçoit va ressentir exactement la même chose que ce que j’ai moi-même ressenti.

(Lydie) Enfin, y a-t-il des lieux ou des espaces qui pour toi sont plus propices à la création musicale ?

(Rodriguez) : Il n’y pas de moment, ni de lieu, ni de personne qui déclenchent le moment de la création : cela vient partout, même en marchant. Le plus que cela arrive c’est quand j’ai un instrument à la main. Si je n’ai pas d’instrument, en voyant ce qu’il y a autour de moi je suis inspiré. Je le suis partout, même en train de manger ou de me laver. Mais il y a des moments de création et d’inspiration, quand je suis en train de travailler (la composition) je n’aime pas voir les gens : j’aime rester dans mon coin et je suis seul.

Grâce à la solitude je peux créer plus facilement : je reste enfermé dans ma chambre et là je peux créer plus rapidement. Il y a même des moments où je commence à faire un travail pour lequel je deviens isolé en me séparant de tout. Pour la composition de la musique je n’aime pas aller dans les discussions auxquelles je me rends très attentifs, car cela entraîne une grande nervosité pour moi face aux choses qui ne viennent pas de moi. Aussi, dans ces moments je me retire.

L’inspiration c’est autre chose que le travail avec le groupe. Pour D’homme Terre, je transmets les compositions que j’ai créées en travaillant avec un musicien du groupe, parfois l’un après l’autre, ou plusieurs d’entre eux et le plus souvent tout le groupe en même temps, selon les passages de chaque morceau, et selon le travail que chacun doit fournir. C’est un travail de longue haleine qui demande beaucoup de patience et d’investissement personnel. Quand je travaille avec les autres, Sylvain, Arnaud, Robin, Yann, Iasha, Boule, Fredy (je ne parle pas des danseur.ses) je mets « sur le plateau » tout ce que j’ai préparé avec les méthodes que je décris plus haut, pour voir comment ils réagissent, comment ils avancent et nous avançons tous ensemble, et cela me donne encore plus d’inspiration. À partir de la musique jouée par tout le groupe je retravaille les morceaux car beaucoup de nouvelles idées arrivent ; et ainsi de suite, le travail musical se construit comme ça. Et cela devient très technique aussi : toutes les compétences musicales de nos artistes sont travaillées en résidence, jusqu’à ce que le résultat soit satisfaisant. C’est difficile de décrire la qualité musicale car cela s’écoute ; et difficile d’expliquer comment nous passons des déplacements à la musique et comment nous quittons nos instruments pour la danse car cela se regarde jouer sur scène.

Pour notre spectacle, par la musique, la danse et la dramaturgie, mais surtout la musique au départ, nous essayons de marcher entre l’imagination et la réalité pour placer la personne qui se trouve dans le public entre son imagination et sa pensée et la faire voyager.