D’homme Terre

des humains, de la terre et la Terre

Le spectacle est en cours de production: toutes les photos, vidéos et bandes de son du site sont issues des répétitions.

D’homme Terre, formation du titre : Le titre D’homme Terre prend le contrepied de l’expression « Terre des hommes », dépassée en véhiculant l’idée que la terre appartient aux hommes et faisant du masculin l’ensemble de l’humanité. Le nom du projet renverse le sens de l’appartenance comme si les hommes appartenaient à la terre. Or, pour ne pas tomber dans une inversion binaire donnant « les hommes de la terre », le rapprochement « homme » et « terre » devient « homme terre ». Avec le partitif « d’», comme quand le stoïcisme de Montaigne proposait « de l’Amitié » ou « de l’Éducation », « D’homme Terre » devient une sorte de matière dans laquelle il n’y a plus de hiérarchie de la terre à l’homme ou l’inverse, et un sujet de réflexion philosophique rappelant que la domination de l’homme par l’homme et de la terre par les humains pourrait se comprendre au passé simple, dans un jeu de mots qui n’était pas prévu: avec « domptèrent » le fait de dompter ne serait plus d’actualité. Dans cette hypothèse, les humains seraient-ils libres ? Seraient-ils aptes à ne plus asservir les leurs ou leurs semblables ? Dans ce cadre, les liens humain-terre pourraient-ils se situer dans une perspective post anthropocène ?

Ce travail se positionne dans les turbulences du monde contemporain ressenties sous ses chaotiques travers, allant d’une profonde mutation à une compréhension plus affirmée des existences humaines grâce aux outils de la connaissance (numériques, scientifiques, spirituels…), grâce aux métissages et aux créations artistiques actuelles. Auparavant considérées dans un regard statique, par le structuralisme ou le conservatisme notamment, souvent localisées par la soumission au pouvoir, les connaissances, ici de nature historique, se perçoivent de façon mobile et transdisciplinaire.

La déportation des hommes racisés, arrachés à leur terre natale, vendus pour subir le travail forcé sur des terres inconnues ou être abattus en cas de dissidence comme sous le Code Noir de Louis XIV, a généré des traumatismes sur la chaîne générationnelle. Engendrés par les souffrances que les exploitants le plus souvent d’origine européenne ont infligées à leurs semblables africains, alors loin d’être considérés comme tels, ces chocs de masse perdurent trop souvent sous la forme du racisme. En dépit des groupes qui cherchent à défendre les victimes de l’esclavage ou les descendants de l’esclavage, les voix des Africains, Afro-américains et Afropéens ne sont pas suffisamment pas entendues.

L’urgence de respecter la terre non plus. Les outrages qu’elle subit depuis le traitement abusif de ses sols alors aseptisés donnent lieu à des vides impossibles à combler. La disparition de nombreuses espèces de passereaux en est un exemple. La dissémination de certains animaux ne peut être entendue sur la même échelle que la disparition des noirs déportés, le parallèle entre la traite des hommes et la façon dont la terre est traitée commence à se tracer : les deux sont conditionnés par la surproduction qui rend aveugle aux massacres.

D’un point de vue dramaturgique, si ce travail n’est pas celui du théâtre documentaire réactivant des faits authentiques très précis, il ne fait aucun compromis avec l’Histoire prenant pour base narrative les routes maritimes de l’esclavage, communément dénommées par « la route de la mer ». Les événements qui ponctuent ce voyage sont précédés par un épisode du quotidien des villageois Congolais dans la période pré esclavagiste. Il constitue l’introduction du spectacle. Dans son contenu musical, scénique et sémantique ce début est en confrontation aux tableaux suivants qui ponctuent le spectacle. Ils prennent en compte la traversée, des passages de labeur, de violence, de regroupement des hommes, de tentative de révolte et des allusions à des épisodes vécus par la diaspora africaine au 20è siècle.

Le spectacle fait aussi allusion au sentiment de la perte ontologique qui se détermine par rapport à une communauté. Un des effets de l’esclavage des noirs, parvenus forcés dans les champs de la mort, est une négation de la multiplicité de leurs cultures, de leur langue. L’une des phrases du spectacle y fait directement référence : « écartelez ma langue si vous voulez savoir ce qui s’échappe de moi ». Cette déclaration par un individu, le chanteur Boule Mpanya, se rapporte en effet à l’effacement des langues et des cultures qui se sont perdues dans la masse des esclaves. En étant coupés de leurs racines, alors qu’ils étaient originaires de divers pays avec toutes leurs spécificités, ils sont devenus les Africains américains de langue anglaise. Les passages parlés souvent chantés utilisant le Lingala, le Kikongo, le Luba, le Swahili, l’Anglais et le Français, ne peuvent pas rendre compte des pertes liées aux brassages et aux négations des groupes d’humains soumis à la vente. Ils peuvent néanmoins évoquer des identités soumises aux chocs des cultures et des inconnus, et qui tendent à se perdre dans la mondialisation dissipant la mondialité. Il nous semble que la période transitoire actuelle se dirige vers une même uniformisation ; car elle pourrait se comparer, non pas dans ses traitements mais dans ses effets, à cette période historique qui, en plus des pertes humaines et de ses conséquences, cause une perte de l’appartenance sociale et des repères qu’elle implique.

La terre, ayant enseveli une immense partie des personnes déracinées, étant elle-même tombée sous un esclavage économique, occupe une grande place dans le projet ; car l’histoire des esclaves concerne l’histoire de la terre entière : elle touche tout le monde, aussi bien ceux ayant initié le commerce humain que ceux l’ayant subi. C’est la raison pour laquelle, dans notre spectacle, des rôles de noirs peuvent être joués par des blancs et inversement.

En ce qui concerne la méthode de travail, elle suit la formation vs absence de formation de ses auteurs. La façon dont le spectacle est élaboré est une manière d’être. Elle n’émane d’aucune école car les auteurs de D’homme Terre sont autodidactes. Passive ou revendiquée, l’autodidactie favorise le caractère unique de l’individu avec ses irrégularités face à l’uniformité de l’institution. Les fragilités apparentes d’un tel individu, garantes de son originalité, fondent une créativité qui se renouvelle sans cesse, car elle résiste ainsi à la prescription grâce aux intrications entre la faiblesse individuelle et force collective du groupe que le mouvement continue d’appeler par la musique, la danse, le corps et le langage.

Le procédé de travail et la direction du groupe est en adéquation avec les propos précédemment abordés. Se réclamer de l’autodidactie est aussi une façon de lutter contre la systématisation des savoirs et des communautarismes, faisant écho au totalitarisme des colonies (à une période où le terme pouvait être anachronique) ayant soumis les hommes par les armes et la violence. Si la lutte contre ce type de politique n’est pas nouvelle, elle prend une nouvelle forme car elle entre sur un terrain historique concret mis en tension avec un terrain actuel. L’écriture de l’Histoire des vainqueurs est ici discutée par l’écriture de plateau : cette façon de travailler, éclectique, collective et rhizomique, utilisant les fragments de textes d’auteurs déjà cités, entre en résonnance avec les réalités des esclaves et ce qu’il reste de leur mémoire elle aussi fragmentée.

Dans son utopie, le projet D’homme Terre cherche néanmoins à retrouver une unité que le transdisciplinaire appelle, notamment par une transmission d’âme à âme. Pour aller plus loin dans ce sens et tenter de nourrir le sentiment d’une réparation, l’une des quêtes essentielles de ce travail est de rendre hommage aux victimes du commerce triangulaire grâce à un acte de mémoire qui sera proposé aux publics.

À ce jour, le travail a commencé à se construire lors de résidences dans divers lieux avignonnais (théâtre La Luna, Le Gilgamesh11).