Le matériel : encres, pinceau,…
Le Sumi e : signifie encre et eau en coréen. Il constitue les fondements de ma pratique depuis une trentaine d’années, vers 1995, suite à une rencontre : Wal jung Lee, Dae Sung Park et drautres peintres de Séoul ont marqué l’impulsion de mon travail.
Cette technique consiste en l’expérience répétée du tracé – inlassablement répété ; et en une connaissance de ses outils combinés à la pratique. Elle provient d’une grande connaissance en effet du liquide – eau en général parfois diluée à des matières – , des pigments qui se libèrent des bâtonnets, des poils du pinceau, de l’épaisseur et de la matière de son manche, des fibres et de la texture de la surface du papier, et de la main elle-même guidée par une pression plus ou moins légère ou appuyée, par la rapidité ou lenteur d’exécution déterminant l’intensité du trait, et par le degré d’inclinaison de l’avant-bras par rapport au support pouvant aller de verticale formant un angle à 90° avec le papier à presque parallèle à la feuille formant un angle aiguë .
Pinceaux en bois et poils d’animaux, papier végétal et encres organiques sont les outils naturels du Sumi. Ils parlent de la Terre, avec elle à son rythme, dans une invitation au silence. C’est l’occasion de se retrouver en soi-même, avec ou sans les émotions contenues dans l’eau mélangée aux encres dont les pigments dilués se libèrent. Par un dialogue avec celui.celle qui pratique ou regarde le tracé, l’eau, provenant de rivières, mers et océans dont je l’ai prélevée, nous rappelle la force de vie que le trait d’encre concentre, le plus souvent de façon inconsciente. Ses lignes tracées sont davantage le résultat d’une préparation du corps comme pour une performance ; elles sont cependant destinées à faire œuvre : connecté à la Terre et à son corps, ce langage ancestral suit le mouvement qui se présente tel une inspiration pour se traduire dans le souffle d’un cercle, d’un trait, d’une forme. La simplicité des traces réalisées au moyen de ces matériaux naturels, d’un point de vue graphique se rapprochent des codes de l’écriture numérique elle aussi formée de ronds et de traits. Ainsi, ce qui est de l’ordre du naturel et de l’ancestral – les outils utilisés – et leur aspect formel (cercles et traits) appartiennent à des domaines temporels très éloignés pour ne pas dire opposés ; or ils se rejoignent ici dans l’intersection de l’oeuvre, comme les artistes du Land Art se rapprochent de ceux du Stone Age en raison de leur matériaux et champ d’expression, la Nature. Est-ce à dire que la danse des formes n’a ni frontière temporelle ni domaine de prédilection, et que leurs combinaisons peuvent se rejoindre à notre insu ? L’art s’apparente alors à un acte de paix réunissant les domaines artistiques de diverses périodes dans un dialogue à la fois graphique et insonore.
Dans la continuité de ce que les supports de création révèlent, en tant que spécialiste de la linguistique par ailleurs, Lydie Toran lance un nouveau mouvement artistique : La Scryturale, « un art qui fait de la peinture, du dessin, de la sculpture et de l’installation avec de l’écriture » (extrait du Manifeste) ; car les lettres sont, elles aussi, formées de lignes, de courbes et de cercles. Elles proposent ici une utilisation singulière de la langue écrite : en tant que matériau plastique, dans une perspective de l’art inclusif et en 3D contrairement au conceptuel, elles apportent par là même d’autres réseaux de signification polysémique. Le dialogue cette fois instauré ouvre la voix de l’humour et d’une histoire de l’art nouvellement débattue. Son manifeste est exposé en juillet au Figuier Pourpre Maison de la Poésie, Avignon. (1.2)
Les cercles :
Étant donné que le cercle est une figure parfaite qui de ce fait supporte mal les déviances du trait, je tente de le dessiner à l’encre pour faire face à mes peurs :
- peur de ne pas arriver à tracer ce que je veux, ce qui remettrais en question mes compétences
- peur de trouver dans la trace un reflet de moi-même qui me dérange, que je refuse de voir
- peur de regarder en face mes propres dualités entre la volonté de bien faire, c’est-à-dire de tracer le cercle parfait dans la plus stricte géométrie – l’idée des sciences dures toujours plus efficientes en Occident vient ici se profiler – et l’impulsion de vie qui passe à travers le geste échappant au contrôle de la volonté ; ce qui trahit des réticences au langage imparfait de la pensée parlante et sans mesure, ou qui devance les frustrations face au langage accessible de façon partielle seulement.
- peur de voir cette frange d’imprévu ou de faille révélant des manifestations inconscientes.
Tracer le cercle est une école de l’acceptation de sa propre fragilité, dans la recherche de l’harmonie (le cercle) et la beauté d’un mouvement témoignant de la vie, à un stade libéré des précédentes tensions. Si elles ont été, auparavant, source de tourments, c’est parce qu’elles se confrontent à la difficulté d’exécution du cercle ; comme si le programme de la géométrie parfaite pouvait rencontrer l’imprévu de la trace déviante mue par une impulsion de l’état du corps au moment du tracé ; comme si le déterminisme du destin – représenté par le cercle – se heurtait au programme créatif humain qui ne peut pas toujours suivre le rêve qu’il caresse : dans la déviance de la trace qui cherchait pourtant le programme parfait, une allégorie de la volonté humaine accidentée par des faits imprévisibles, face au destin se dessine.
Enfin, cette attitude artistique peut se rapprocher du stoïcisme, dans le sens où une double contrainte se profile : ce qui dépend de moi (la volonté du tracé parfait) et ce qui ne dépend pas de moi (la fatale imperfection du cercle). Or, l’idée de dépendance ne peut s’appliquer entièrement car le cercle reste une figure libre qui, par ailleurs, ne dépend de rien.
Dans ses plus grandes ambitions ce travail voudrait à la fois repousser une pensée totalitariste rationnelle que le seul désir de perfection peut mouvoir, et une pensée duale fragmentée par des recherches inaccomplies et perdues dans des aires impensées. Dans le cheminement de ses traces, en quelque sorte, le cercle est une utopie de la paix en soi qui cherche sa voie entre stabilité et mouvement.
Les bambous :
Ils émanent de la même technique et des mêmes outils que ceux utilisés pour le tracé du cercle. L’impulsion qui génère le dessin du bambou est aussi motivée par la concomitance entre la volonté dirigée et l’accidentel des éléments à un instant T. Or, leur cheminement graphique est plus facile dans le sens où ils s’élèvent vers le haut du papier comme un mouvement de croissance naturelle, dans une verticalité proche de la silhouette humaine qui se tient debout sur la terre. Souvent, ils sont redessinés de noir peu dilué à la façon d’une brosse plate dans la peinture à l’huile, laissant apparaître les nervures du tronc et les nœuds de leur croissance. Ce deuxième passage peut s’effectué un fois que le premier passage d’encre est séché ou quand il est encore humide, selon l’effet recherché : traits purs et fins sur le fond sec déjà effectué, ou fusionnant avec le fond encore humide pour renforcer l’idée de la nécessité aquatique pour la pousse végétale ou pour souligner dans le panel des émotions la colère, la crainte, l’inquiétude… etc. par échappées qui se diluent dans le premier tracé. Les effets obtenus, de bambous dansant, bambou calmes ou rapides, sont très variables en fonction de deux facteurs : les feuilles utilisées et l’état d’être. En effet les formats, grammages et textures des papiers – koso (japonais), gambi (fin, très fin), hanji (coréen) … – impactent l’infusion de l’encre et la forme de sa trace. De plus, l’état émotionnel dans lequel je me trouve, génère une utilisation de l’eau et de sa quantité, une vitesse d’exécution et une pression plus ou moins dense sur la feuille qui sont très variables ; c’est ce qui donne un visage très différent à chaque production.
Objets
World trade gender
Description et activation de l’œuvre
- C’est la roue du temps qui danse pour nous à chaque rotation et à chaque cycle temporel les événements ont évolués les humains et les genres aussi ce titre fait référence au World Trade Center , l’un de centres des affaires le plus énorme et le plus connu au monde à la fois pour le symbole qu’il représentait dans le skyline New yorkais mais aussi par la tragédie qui a mis fin ces édifices – signifiant possiblement les prémices d’un effondrement du monde capitaliste. Le propos n’est ni de politiser les événements du 11 septembre ni de les commémorer mais de les mettre en parallèle à l’effondrement de la notion de genre face à la Queer Community et plus avant à l’homosexualité reconnue, accueillie et enfin respectée (ou presque !). Ce titre est donc éloquent par rapport à la place que le genre peut à présent occuper dans les communautés : une place qui s’est sans doute effondrée dans la mesure où le genre est discuté en tant que tel, revu selon une construction sociale et non plus selon une construction seulement physiologique.
- il s’agit d’une Mappemonde de 1750 – époque à laquelle la traite des esclaves, sur laquelle le monde occidental a en grande partie échafaudé sa fortune, faisait rage. Comme elle est ancienne les tracés des continents et pays ne sont pas encore bien réalisés, certains noms de pays ont changé comme par exemple la Nouvelle Hollande devenue l’Australie. Cette instabilité des noms, dû à la colonisation, avec les appellations éphémères que l’ancienneté de la carte révèle, rappelle aussi que l’instabilité et la fragilité du genre est à présent reconnue.
- Le fait qu’elle tourne sur un axe qui ne correspond pas à celui des Pôles s’apparente au fait que la société genrée ne tourne plus de la même façon. Une révolution du genre a eu lieu/est en train de se faire. En réalité, ce sont les lettres qui au départ devait tourner autour du globe signifié par la carte mais les moyens techniques n’ont pas permis cette réalisation. Aussi, un effet hypnotique ou nauséeux s’opère sur la regardeur.se; parfois si dérangeant – sidérant ?!? – qu’il n’est pas possible de regarder longtemps cette façon inhabituelle de tourner pour la Terre. Cette gêne est aussi celle que les conservateurs peuvent ressentir face aux transformations initiées par la Queer Community, et réciproquement, gêne ressentie par les membres de la QC face aux conservateurs.
- Les phrases qui entourent la carte signifient littéralement la beauté du monde en dépit de ( si l’on est conservateur) ou grâce à ( si l’on est pro Queer Community) ces changements intervenus notamment par l’effondrement du monde binaire masculin-féminin. De plus, que cet effondrement ait eu lieu ou non, que l’on y soit sensible, favorable ou non, que les discours à ces sujets (pour ou contre) soient produits ou non, cela ne change rien à la beauté de la Terre qui ne serait ni plus grande ni plus petite avec ou sans ces transformations; en cela ces phrases remettent l’humain à une place secondaire par rapport à l’ensemble de la planète, pour ne pas dire plus simplement que l’ensemble des relations humains-Terres sont déjà inscrites ici dans un âge post Anthropocène. Enfin, si la beauté de la terre est dite/écrite dans des lettres enfantines c’est pour en rappeler la simplicité sans perspective intellectuelle. Les énoncés sont délibérément au féminin et au masculin pour que la cinquième partie décrivant l’œuvre prenne plus de sens.
- De façon plus ou moins ludique il serait possible en actionnant 3 fois la roue de la mappemonde (qui comporte une flèche) de (re)découvrir son orientation/ identité sexuelle : tournez la roue 3 fois et considérer (avec humour) les réponses possibles (induite par la question : Quelle est la part de hasard dans la notion de genre – prénatal ou non ?)
3 fois sur « la terre est belle » : femme, femme hétéro ou femme attirée par les femmes ?
3 fois sur « le monde est beau » : homme, homme hétéro ou attiré par les hommes ?
2 fois sur « la Terre est belle » 1 fois « sur le monde est beau » : femme attirée par les hommes
2 fois sur « sur le monde est beau » 1 fois sur « la Terre est belle » : homme attiré par les femmes
1 fois sur « la Terre est belle » 1 fois « sur le monde est beau » 1 fois sur « l’entre deux » : bisexuel.le
2 fois sur « l’entre deux » 1 fois sur la Terre est belle » : trans à tendance féminine
2 fois sur « l’entre deux » 1 fois « sur le monde est beau » : trans à tendance masculine
1 fois sur « l’entre deux » 2 fois sur « la Terre est belle » : lesbiennes à tendance trans
1 fois sur « l’entre deux » 2 fois sur « sur le monde est beau » : gay à tendance trans
Le fait d’avoir autant de chance de « tomber » sur tel ou tel cas de figure sous-entend – une fois de plus – qu’il n’y a ni hégémonie ni hiérarchie d’une communauté sur l’autre : qu’elles soient de genres ou d’idéologies elles cohabitent dans cette œuvre interactive sans jugement ni commentaire. Le résultat, donné par ces tirages n’ayant aucune valeur scientifique, projette dans des perspectives autres que celles de l’héritage – qu’il soit culturel ou éducatif et parfois soumis à l’imitation. Le fait de soulever l’imitation ou l’identification n’a aucune intention provocatrice. Le fait que ces « tirages » se fassent sur le ton de l’humour est une façon de dédramatiser les stigmatisations des diverses communautés. Ils sous-entendent pour finir que l’orientation sexuelle n’est pas figée : elle peut se modifier au fils des cycles, dans un sens ou dans un autre. Dans tous les cas la beauté du monde/ de la terre demeure avec ou sans notion de genre.
Lettre en vie, mobile 2023
Ecolo sexy fish
Ecolo sexy fish, mixed média, 2021
Dessins
Question
Être forte
Être forte, recherche à la mine de plomb, 2023
Tous les objets et dessins de cette page font partie de la Scryturale, nouveau mouvement artistique dont le manifeste exposé au Figuier Pourpre Maison de la Poésie en juillet 2023 sera bientôt posté sur le Site.